Pour un OUI européen


Lors de la dernière campagne pour les élections européennes, Les Verts européens ont été les seuls à mener campagne au niveau européen. Manifeste commun, campagne de communication unique, réunions publiques associant des orateurs venus de l’Europe entière, Les Verts français se sont largement immergés dans la dynamique proposée par le jeune parti vert européen. En France, les formations politiques, à commencer par l'UMP et le PS, ont mené une campagne avant tout nationale, non seulement parce que leurs divergences avec leurs homologues européens sont bien trop fortes pour qu'ils puissent mener une campagne commune, mais surtout parce qu'ils ne cessent, depuis des décennies, d'instrumentaliser l'Europe au profit de leurs polémiques nationales internes.

Il risque hélas d'en aller de même demain pour le Traité établissant une Constitution pour l’Europé (TCE). Chirac privilégie le référendum pour embarrasser Sarkozy à la tête de l'UMP d'une part, et le Parti Socialiste divisé d'autre part. Et le PS se divise lui-même entre ceux qui sont pour le Traité, mais ne savent pas ce qu'ils feront voter au référendum pour ne pas avantager Chirac (!) et ceux qui sont contre le Traité, souvent par tactique interne à leur propre organisation, et disent que le texte est insuffisant, alors qu'eux-mêmes ont fait voter les mauvais traités de Maastricht, Amsterdam et Nice lorsqu'ils étaient au pouvoir !

Oui, décidément, l'Europe mérite mieux que quelques stratégies politiciennes nationales. Un Traité européen mérite une position européenne. C'est pourquoi je me prononce en faveur d'un référendum européen organisé dans les 25 pays, selon des modalités communes, afin de ratifier ce Traité.

Mais, je ne peux me contenter de définir des règles du jeu pour l'adoption du Traité : il nous faut prendre position, dire quel est aujourd'hui mon sentiment et contribuer ainsi au nécessaire débat sans lequel les gouvernements organiseront en coulisses notre sort commun.

Rédigé pour la première fois par une Convention associant parlementaires européens, nationaux et membres des gouvernements, ce Traité est très loin du Traité européen idéal. Encore très loin du fédéralisme, laissant toujours trop de place aux Etats nationaux, et surtout entérinant nombre de politiques actuelles de l'UE productivistes et libérales, ce Traité est indéniablement insuffisant. Pour toutes ces raisons, il est légitime d’hésiter à l’entériner et nous comprenons que nombre de militants, d’ONG, et de citoyens critiquent ce texte et manquent d’enthousiasme.

Mais ce Traité comporte aussi des avancées notoires : il renforce la co-décision, il crée le droit d'initiative citoyenne, il introduit des avancées sociales suffisamment importantes pour que la Confédération européenne des Syndicats le soutienne, il ouvre les débats des Conseils aux citoyens et à leurs représentants, il institue une charte européenne des droits fondamentaux encore incomplète..., en un mot il franchit une nouvelle étape dans la construction européenne, dans cette démarche longue et chaotique qui la caractérise, mais qui progressivement construit un possible espace de paix et de liberté.

Faut-il, comme le proposent certains, rejeter ce texte parce que « la mariée ne serait pas assez belle »? Je ne le crois pas. Car on ne nous propose pas de choisir entre ce traité imparfait et un traité idéal, mais entre ce traité imparfait et le statu quo qui risque d’entraîner les peuples d’Europe dans la voie morbide de la régression nationaliste. Ne nous y trompons pas : si ce Traité était rejeté, c'est le Traité de Nice qui continuerait de s'appliquer, avec tous les défauts que l'on peut trouver au TCE, sans ses qualités. Rejeter le TCE n'abolira pas le libéralisme, ne supprimera pas l'unanimité en matière économique et fiscale, ne verra pas émerger ex -nihilo une Europe sociale, environnementale et démocratique. Bien au contraire !

Il en va de même de l’argument sur l’irréversibilité prétendue du Traité. Certes, sa révision sera difficile… mais tout autant que les traités passés et que le statu quo du traité de Nice qui exige aussi l’unanimité pour être dépassé. Et, même de ce point de vue, le TCE offre des améliorations en facilitant légèrement la révision. Mais le plus important est surtout qu’en démocratie, et l’histoire de la construction européenne est là pour le prouver, rien n’est irréversible. Et cela, aucune formule de juriste ne pourra le changer.

On nous dit que d’une potentielle crise découlant du rejet du texte pourrait émerger le salut ! Qui peut le croire ? Même avec la forte poussée à gauche qu'ont connue la France et l'Espagne ces derniers mois, c'est un Parlement Européen résolument à droite qui a émergé des dernières élections. C'est cette assemblée, ce sont les peuples qui l'ont élue, qui décideraient tout à coup d'instituer une Europe socialiste et écologiste ? Les choses sont claires : si le TCE était rejeté, ce ne serait ni la victoire des progressistes, ni la victoire de l'Europe. Ce serait la victoire des euro-sceptiques et des nationalistes, un retour certain en arrière de l'Europe, et un renfort décisif à l'hégémonisme américain sur la géopolitique mondiale.

Face à l'Histoire en train de se dérouler, moins de 10 ans après une terrible guerre et un terrible nettoyage ethnique sur le sol même de l’Europe faute d’une diplomatie et d’une régulation européenne, après le 11 septembre et la guerre d'Irak conséquence des velléités hégémoniques américaines qui ont mis en évidence plus que jamais la faiblesse politique de l'Europe, et face aux enjeux environnementaux globaux dramatiquement urgents qui nécessitent une volonté politique ferme dans les plus brefs délais, nous ne pouvons nous permettre une crise européenne qui conduirait à une re-balkanisation de notre continent, qui renverrait les plus atlantistes dans les bras des USA et chacun à ses égoïsmes nationaux, bien loin des décisions multilatérales qu’appellent la crise écologique, les injustices sociales profondes de nos sociétés et les inégalités planétaires.

La maîtrise des deux mondialisations, celle de l’économie et celle des enjeux écologiques rend nécessaire la construction au plan mondial d’une régulation politique et économique et la seule façon de réduire la violence est d’accroître la justice sociale. Or l’Europe constitue le premier espace où s’élaborent, certes insuffisamment, des règles communes dont le but est de construire un développement durable accessible à tous au plan mondial.

Convaincu qu’on ne peut aujourd’hui penser le monde sans réussir l’Europe, j'estime donc que l’adoption du TCE est une étape indispensable pour civiliser les relations internationales au-delà des Etats. Un pas qui, s’il est réussi, donnera encore plus de courage pour les indispensables suivants.

Mais ce OUI ne doit être ni passif ni résigné. Je milite pour un OUI combatif et exigeant, un OUI qui ne soit pas qu’un avis sur le TCE, mais aussi un acte symbolique fort, porté par les peuples d’Europe et appelant à la construction d’une Europe plus intégrée.

C’est pourquoi il ne faut pas en rester là. Sans attendre la ratification du texte, Il faut engager le Parti Vert Européen à lancer dès maintenant la bagarre pour l’étape suivante : l'approfondissement de la construction d'une Europe des Régions encore plus démocratique et fédérale, plus solidaire, plus écologique, en s’appuyant dès maintenant sur les nouveaux mécanismes d’initiative citoyenne pour mener les grands combats pour la sortie du nucléaire, la citoyenneté de résidence européenne, les droits sociaux, etc.

Un enjeu majeur pour notre génération, et plus encore pour les générations futures.